Le Haṭha-Yoga occidental a été initié par Françoise Dolto, la maman de Carlos et célèbre psychanalyste, en France après qu’elle ait accueilli un jeune indien qui avait un peu étudié le Yoga et qu’on appelle Sri Mahesh. Il a bien fallu nommer le Yoga qu’il proposait et on l’a appelé intelligemment Haṭha-Yoga.
Mais qu'est-ce que le Haṭha-Yoga ? Ce Yoga est pratiqué dans le Nord de l’Inde par les Haṭha-Yogin des Nātha-sampradāya, de la tradition des Nātha. Il ne s’agit d’ailleurs pas du Haṭha-Yoga comme on le prononce et l’écrit souvent. Mal prononcé, « hata » - sans le point en dessous du t - vient de la racine HAN qui signifier tuer, violer en fonction du contexte.
La prononciation est HAṭHA, il faut prononcer le ṭHA en partant avec le bout de la langue tournée sur le haut du palais et expirer avec le ventre. C’est l’énergie du HA et du ṭHA. Ces deux mots représentent la dualité de la vie tout comme le Yin et le Yan dans le confucianisme chinois. La vie est remplie de dualités : le jour, la nuit, la foule, la solitude, le froid, le chaud, le succès, l’échec, etc. Lorsque nous sommes dans un type d’énergie, nous sommes contents, lorsque naturellement l’autre énergie prend le dessus, nous ne le sommes plus, nous sommes malheureux.
Nous sommes ainsi ballottés par les énergies contradictoires de la vie et, de ce fait, nous perdons une connexion avec nous même de qualité. Le Haṭha-Yoga, selon Svātmarāma, l’auteur de la Haṭha-Yoga-Pradīpika, « La lumière sur le Haṭha-Yoga », l’ouvrage de référence avec un ‘O’ majuscule sur ce domaine, c’est que le Haṭha-Yoga est une échelle pour aller vers le Rāja-Yoga, un Yoga encore plus important.
Je m'explique. La déconnexion qui nous caractérise à l’état naturel nous empêche d’entrer en contact avec notre lumière intérieure profonde et de vivre pleinement notre spiritualité ainsi que notre vie. Le Rāja-Yoga c’est le Yoga de la spiritualité, le Yoga que l’on dit Royal. « Rāja », c’est le même mot que dans « Mahârâja ».
Pour transcender ces dualités, Svātmarāma et le Haṭha-Yoganous propose une palette de 4 types d’outils répartis en quatre chapitres dans son texte. Le premier outil, que l’on appelle āsana. C’est un outil qui permet de travailler sur notre corps et nos organes des sens. C'est-à-dire la souplesse, la force, le fonctionnement de corps et la manière dont nous percevons et la santé de nos organes des sens et d'action.
Le second outil pour entamer un voyage intérieur une fois que notre corps est plus fort et stabilisé, c’est le prāṇāyāma, la discipline du souffle. Cette technique permet de purifier les canaux énergétiques qui irriguent notre corps. On le sait peu, mais ces canaux sont trop souvent remplis d'impureté qui empêche votre énergie de circuler pleinement et d'offrir une santé parfaite à notre corps. C'est un peu l'équivalent de l'acupuncture en Chine où on essaie de faciliter la circulation de l'énergie en nous.
Le but de cette technique n’est pas de calmer le mental, mais de le transformer. Ces séances sérieuses et progressives de respiration nous permettent de découvrir à l’intérieur de nous des impressions du passé qui nous conditionnent et que l’on appelle vāsana. Ce sont souvent eux qui ont un impact négatif sur la circulation de l'énergie en nous.
Les vāsana, littéralement, ‘ce qui réside à l’intérieur de nous’, sont de deux types. Il y a, on le comprend facilement, d’un côté les expériences traumatisantes qui nous on constitués mais dont nous avons oublié la force. De l’autre côté, il y a les expériences positives qui, aussi, on un impact sur nous. Vous voyez, on est bien dans deux types d'énergie.
La pratique du prāṇāyāma nous permet de neutraliser ces différentes forces internes qui font obstruction à notre nature profonde au delà de ces impressions et à la connexion nécessaire pour se diriger vers une spiritualité digne de ce nom.
Ensuite, il y a la pratique des mudrā. Ces outils qui sont une combinaison subtile de postures et de respirations qui constitue une intensification du prāṇāyāma. Ils nous permettent de casser les dernières résistances et d’accéder à la personne que nous sommes.
Je me permets de noter que si les mudrā sont des "postures" pratiquées avec une respiration très intense, il est clair que les postures doivent être pratiquées également avec une régulation du souffle très précises ou exigeante. Ici, nous sommes très loin de ce qui se passe dans le Haṭha-Yoga francophone. Dans le cas contraire, il n’est pas possible de progresser dans la pratique des mudrā !
Ces 3 étapes, le texte insiste, sont pratiquées sous la guidance d’un professeur compétent. L’engagement dans cette pratique est un engagement à temps plein. Ces pratiques nécessitent tout un tas de pré-requis comme l’alimentation, avoir du temps, être en bonne santé, avoir une stabilité émotionnelle, etc.
Le dernier outil proposé par Svātmarāma dans le quatrième chapitre est la méditation sur le son intérieur, nādānusandhanam. C’est une étape plus proche du Rāja-Yoga que l’on pourrait qualifier par l’exploration du son ou de la lumière intérieure. La personne éveillée, en contact avec sa plus haute lumière, est décrite comme étantpleine à l'intérieur et à l'extérieur tout comme le pot dans l'eau est rempli à la fois dedans mais aussi dehors car il est dans la mer.
Le Haṭha-Yoga occidental se repose sur la pratique de quelques postures et sur une approche très simpliste de la respiration par rapport à ce que préconisent les textes. La différence entre le Haṭha-Yoga traditionnel et la manière dont pratiquent les personnes se réclamant du Haṭha-Yoga francophone et plus qu'énorme, c'est carrément autre chose.
Nous avons la chance dans le Viniyoga de pratiquer les différents outils du Haṭha-Yoga et de les garder vivants. Krishnamacharya a étudié et pratiqué ce type de Yoga en profondeur. Le premier texte que son élève, TKV Desikachar, a récité est la Haṭha-Yoga-Pradīpika. N’oublions pas que la pratique traditionnelle du Haṭha-Yoga doit nous amener vers plus de lumière et une meilleure connexion avec nous même.
Cette coupure avec l'esprit traditionnel du Haṭha-Yoga nous invite donc à penser que le Haṭha-Yoga occidental n’est pas très différent des très nombreux styles de Yoga qui fleurissent encore aujourd’hui comme le Yin Yoga, accroc Yoga, dog Yoga, etc. Disons plutôt qu'il leur a ouvert la voie...
Namaste,
Philip RIGO
NOUVEAU programme de formation
Haṭha-Yoga-Pradīpika
Etude du livre commenté par Jyotsnayuta
Rentrée 2024-2025